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samedi 13 février 2010

Burundi : garantir un processus électoral crédible

Nairobi/Bruxelles, le 12 février 2010 : la sortie du Burundi de sa longue guerre civile ne pourra pas être consolidée que si toutes les forces politiques, y compris le gouvernement, les partis de l´opposition, la société civile et les médias, garantissent la tenue d’élections véritablement démocratiques.

« Burundi : garantir un processus électoral crédible », le nouveau rapport de l'International Crisis Group, analyse la montée des tensions politiques avant la tenue successive des élections communales, présidentielles, législatives et locales entre mai et septembre prochain. Une escalade de violence pourrait ruiner la crédibilité du processus électoral, fragiliser une démocratie toujours fragile et mettre en péril les nombreux acquis du processus de paix.

« Les pratiques de harcèlement et d'intimidation de la part de la police et du mouvement de jeunes du parti au pouvoir représentent une évolution inquiétante qui pourrait facilement déstabiliser le processus électoral tout entier », déclare Thierry Vircoulon, Directeur de projet de Crisis Group pour l’Afrique Centrale.

Après une forte pression internationale sur le parti au pouvoir, un consensus avait été atteint en septembre 2009 sur la mise en place d’une véritable Commission électorale nationale indépendante (CENI) et le cadre législatif et règlementaire entourant les élections. Cependant, sur le terrain, les partis d'opposition ne sont toujours pas en mesure de fonctionner librement. Dans de nombreuses provinces, les administrations locales contrôlées par le parti au pouvoir (le CNDD-FDD), ordonnent à la police de perturber les rassemblements de l'opposition. Des organisations de la société civile et certains médias sont harcelés pour avoir dénoncé les tendances autoritaires du CNDD-FDD, dont le mouvement de jeunesse, une organisation quasi paramilitaire, est d’ors et déjà coupable de violences et d’intimidations. L’autre ancien mouvement rebelle, les FNL, et le parti FRODEBU semblent vouloir répondre à la violence par la violence.

Les partis politiques devraient s'abstenir de toute provocation qui pourrait faire monter les tensions politiques, et stopper la mobilisation de jeunes à des fins de violence ou d'intimidation. Les médias publics doivent permettre à toutes les parties un accès libre et égal à leurs ondes. Les pays de l'initiative régionale sur le Burundi (Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda en particulier) devraient déployer une mission de police régionale et un envoyé spécial de la région devrait être nommé pour faciliter la résolution des différents politiques sur la gestion du processus électoral. Enfin, les chefs de parti devraient être avertis qu'ils risquent des sanctions individuelles s'ils truquent les élections, et devront faire face à de possibles poursuites internationales s'ils rendent responsables de crimes graves.

« Les partenaires régionaux et internationaux du Burundi ont besoin de mettre en place de toute urgence des mécanismes politiques et opérationnels efficaces de prévention de la violence électorale », affirme François Grignon, directeur du programme Afrique de Crisis Group. « Les organisations de la société civile quant à elle devraient au plus tôt organiser une coordination nationale pour recenser et documenter les incidents, afin de pouvoir en attribuer clairement la responsabilité ».


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Burundi : garantir un processus électoral crédible

Rapport Afrique Nº155 - 12 février 2010

SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS

Le Burundi a fait de grands pas pour tourner la page de la guerre civile, mais la tension politique monte dangereusement à l’approche des élections. Ces tensions pourraient dégénérer violemment dans les prochains mois, ruinant la crédibilité du processus électoral et mettant en péril une démocratie fragile et les nombreux acquis du processus de paix. Après la forte pression internationale exercée sur le parti au pouvoir, un consensus a été atteint sur la création d’une Commission électorale nationale indépendante (CENI) et, en septembre 2009, sur un nouveau code électoral. Les scrutins communaux, présidentiels et législatifs sont programmés entre mai et septembre prochain.

Les partis d’opposition sont déjà victimes de harcèlements et d’intimidation de la part de la police et du mouvement de jeunesse du parti au pouvoir, et semblent vouloir répondre à la violence par la violence. Les institutions régionales ainsi que les autres partenaires du Burundi devraient renforcer les mécanismes de surveillance de la violence électorale, soutenir le déploiement d’une mission de police régionale, et créer une facilitation politique de haut niveau pour aider au règlement des différends. Les dirigeants de tous les partis devraient également être avertis qu’ils risquent des sanctions personnelles s’ils cherchent à truquer les élections, et seront passibles de poursuites internationales s’ils commettent des actes de violence graves.

Bien qu’un cadre électoral approuvé par la majorité de la classe politique soit en place, les partis d’opposition ne peuvent toujours pas opérer librement. Dans plusieurs régions du pays, les administrations locales contrôlées par le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), actuellement au pouvoir ordonnent à la police d’interrompre les rassemblements des partis d’opposition ainsi que de les empêcher d’ouvrir des bureaux locaux. Dans le même temps, des organisations de la société civile et certains médias sont harcelés pour avoir dénoncé les dérives autoritaires du parti au pouvoir.

L’entraînement physique, les chants guerriers et l’organisation quasi militaire du mouvement de jeunesse du CNDD-FDD font craindre également le retour des violences miliciennes et une campagne d’intimidation à grande échelle. Pour s’opposer à ces tactiques d’intimidation, les autres ex-rebelles, les Forces nationales de libération (FNL) et le Front pour la démocratie au Burundi (FRODEBU), mobilisent également leurs propres groupes de jeunes. La police étant souvent restée passive voire même complice des abus du parti au pouvoir, il est légitime de craindre qu’elle ne se politise plus encore, et devienne semblable au Service national de renseignement (SNR), qui a déjà tenté de déstabiliser l’opposition. En attendant, les principales stratégies électorales des partis d’opposition, à l’exception de celles de quelques nouveaux acteurs, n’offrent pas davantage de vision politique alternative, et se complaisent souvent dans la provocation. La plupart des partis se contentent en effet de critiquer les dirigeants du CNDD-FDD en les accusant de corruption ou de pratiques autoritaires, mais sans rien proposer de crédible.

Étant donné la popularité du président Nkurunziza dans les zones rurales et les avantages financiers et logistiques qui découlent du contrôle des institutions étatiques, il est probable que le CNDD-FDD conserve la présidence de la République. Ce parti pourrait cependant perdre la majorité au parlement et le contrôle des administrations provinciales, se voyant ainsi obligé de former un gouvernement de coalition – scénario que les durs du parti, notamment les chefs militaires, souhaitent vivement éviter. Cette perspective et le harcèlement des partis d’opposition suggèrent que le CNDD-FDD cherche à remporter les élections locales et législatives à tout prix.

S’il n’est guère probable que les tensions actuelles ne provoquent un retour à la guerre civile, les partenaires régionaux et internationaux du Burundi doivent rapidement soutenir des politiques de prévention du risque d’escalade violente. L’escalade de la violence pourrait en effet plonger le pays dans une nouvelle crise politique et mettre en péril une grande partie des récents progrès du processus de paix. Les organisations de la société civile et les média devraient aussi apporter leur soutien à la création de mécanismes efficaces de surveillance des violences électorales et documenter et dénoncer ces incidents. Les pays de l’Initiative régionale sur le Burundi (l’Ouganda, la Tanzanie, et le Rwanda en particulier) devraient, par ailleurs, appuyer leurs efforts pour améliorer la formation et les opérations de la police nationale, en proposant une mission de police régionale. Incorporées dans chaque province au sein des forces burundaises, plusieurs petites équipes, dotées par les donateurs de leurs propres moyens logistiques et de communication, pourraient alors soutenir la préparation de la sécurisation des élections et conseiller et surveiller sa mise en place.

Cette mission de police régionale devrait être dirigée par un commissaire travaillant directement avec le directeur general de la police burundaise, et placé sous l’autorité d’un envoyé spécial de haut niveau mandaté par l’Initiative régionale et l’Union africaine. Le rôle de ce dernier serait d’aider à résoudre les principaux conflits politiques résultant d’in­ci­dents de sécurité graves et les allégations de fraude électorale. L’envoyé spécial coordonnerait aussi l’effort international qui s’est sensiblement affaibli depuis la dissolution du partenariat pour la paix au Burundi et l’expulsion du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies à la fin de 2009. Un chef d’Etat à la retraite de la région, connaissant bien la politique burundaise et respecté par toutes les parties, serait bien placé pour jouer ce rôle.

RECOMMANDATIONS

Au Gouvernement burundais :

1. Cesser les entraves au fonctionnement des partis politiques en interdisant formellement aux gouverneurs de province, administrateurs communaux et aux forces de police locales :

a) d’empêcher ou de perturber les réunions des partis politiques d’opposition organisées légalement ;

b) de prohiber l’ouverture de bureaux locaux de partis politiques ; et

c) de procéder à des arrestations arbitraires de responsables locaux et partisans de partis politiques d’opposition.

2. Prendre des sanctions à l’encontre des responsables locaux qui continuent de perturber l’activité des partis politiques.

3. Interdire les activités illégales des mouvements de jeunesse des partis politiques et punir les responsables de telles activités.

4. S’abstenir de toute provocation verbale ou autre, et de l’usage de l’intimidation et de la force à l’encontre des partis politiques d’opposition, des médias et de la société civile.

5. Prendre toutes les mesures qui s’imposent contre les personnes, groupes ou organisations impliqués dans le réarmement des milices.

6. Assurer l’accès libre et équitable des partis politiques aux médias publics.

7. Poursuivre les discussions avec les partis politiques d’opposition au sein de la structure nationale nouvellement créée pour le dialogue politique ; ces discussions ont notamment pour but d’atteindre un consensus sur la préparation et le déroulement du processus électoral et de régler rapidement toutes les difficultés liées aux élections.

Aux partis politiques :

8. S’abstenir de toute provocation verbale ou autre qui pourrait mener à une escalade des tensions politiques, y compris l’intimidation de rivaux, les appels à la vengeance ou l’apologie de la haine ethnique.

9. Arrêter de mobiliser les mouvements de jeunesse à des fins d’intimidation ou de violence.

10. S’abstenir de compromettre la neutralité des services de sécurité en instrumentalisant des réseaux de soutien internes.

Aux médias :

11. Accorder le libre accès de leurs antennes et colonnes à tous les partis politiques, de manière équitable, et s’abstenir de faire la propagande déguisée de toute formation ou responsable politique.

A la société civile :

12. Mettre en place un observatoire de la violence politique pour documenter tous les actes de violence liés aux élections, et surveiller particulièrement l’action des mouvements de jeunesse des partis politiques et les groupes de démobilisés affiliés à ceux-ci, ainsi que le comportement des forces de l’ordre.

A l’Initiative régionale sur le Burundi :

13. Organiser, en collaboration avec le gouvernement, le déploiement d’une mission de police régionale composée de petites équipes incorporées à la police burundaise et mandatées pour appuyer la préparation et l’exécution des opérations de sécurisation des élections. Cette mission serait menée par un commissaire de police travaillant directement avec le commandant de la police nationale et placé sous l’autorité d’un envoyé spécial régional de haut niveau.

14. Nommer un envoyé spécial de stature internationale et familier avec la politique burundaise, afin de fournir une facilitation de haut-niveau en cas d’actes violents sérieux ou de différends majeurs liés à la gestion du processus électoral. Celui-ci devra également coordonner les efforts politiques de la communauté internationale auprès des acteurs politiques burundais.

A la communauté internationale :

15. Assurer le déploiement précoce d’une mission internationale d’observation des élections.

16. Fournir le soutien financier opportun et l’expertise technique adéquate à la Commission électorale nationale indépendante (CENI).

17. Prévenir les responsables politiques burundais que ceux qui se rendraient responsables de crimes politiques sérieux seront poursuivis si nécessaire par les juridictions internationales – Cour pénale internationale ou tribunal spécial – et que des sanctions ciblées seront imposées à ceux qui auraient recours à des fraudes massives ou des violences pour remporter les élections.

Nairobi/Bruxelles, 12 février 2010

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