Le recrutement de 57 employés par la CENI fait grincer les dents. Des responsables du parti au pouvoir l’accusent d’avoir recruté des personnalités issues du Frodebu et de l’UPRONA. La CENI et les deux partis réfutent les accusations. Entre-temps, les salaires des cadres de la CENI et les traitements des cinq Commissaires sont gelés depuis deux mois. Le bras de fer a déjà commencé.
Le président de la CENI, Pierre Claver Ndayicariye |
- Bonjour.
Ici le journal Iwacu. Est-il vrai que vos cadres viennent de passer deux mois sans être payés ?
(Un petit silence à l’autre bout de la ligne)
- Qui vous a donné cette information ?
Monsieur Ndayicariye, vous êtes un ancien journaliste quand même ! Vous savez bien que l’on ne révèle jamais ses sources.
(Un peu énervé)
-Je ne fais aucun commentaire. Moi, je suis en réunion. Bireke abategetsi bariko barabiraba. Ntibirinde kuja hejuru ! Laisse tomber. Les autorités s’en occupent ! (Il raccroche) »
Même si le silence est de rigueur au sein des membres de la CENI, Iwacu confirme l’information : le ministre de l’Intérieur, Edouard Nduwimana a bloqué la deuxième tranche du budget de fonctionnement de la CENI. Conséquence : les salaires des cadres de la CENI et les traitements des cinq Commissaires sont gelés depuis fin juin 2009. Et ce n’est pas un problème de manque de fonds. Une source digne de foi confirme que 300 millions de francs burundais octroyés par le gouvernement sont disponibles au ministère de l’Intérieur pour le démarrage des travaux de la CENI. Seuls 104 millions ont été utilisés jusqu’ici. Si l’argent est là, pourquoi les cadres de la CENI et les cinq Commissaires ne sont pas payés ? Les raisons sont à chercher dans le bras de fer qui oppose la CENI avec certains responsables du parti au pouvoir.
L’affaire remonte au recrutement de 57 agents comme personnel d’appui technique. Et surtout, un poste très stratégique : responsable du fichier électoral.
Un fichier très convoité ...
Le fichier électoral centralise toutes les données en rapport avec les élections, notamment les statistiques et autres répartitions territoriales des électeurs, etc. "C’est un peu le cœur des élections", lâche un membre de la CENI sous couvert d’anonymat. Pour ce poste de responsable du fichier électoral, la CENI a décidé de reconduire un ingénieur en informatique, très compétent, un certain Déo Rurimunzu. Selon encore une source fiable proche de la CENI, c’était un choix qui respectait les trois critères clé : l’expertise, la compétence et l’expérience. Pour ce dernier critère, Monsieur Rurimunzu avait été responsable du fichier électoral lors des élections de 2005 et, selon tous les témoignages, il s’était acquitté de sa mission avec efficacité et intégrité. Bon choix donc.
Seulement, lorsque Rurimunzu arrive à la CENI, il exige plus : il ne veut pas être sous la supervision du Responsable des Opérations électorales, une dame, Consolée Bizimana. Mais selon toujours nos sources, Consolée Bizimana a été recrutée sur base de son expérience et de sa compétence (elle était cadre du Projet de Consolidation de la Paix "PBF Femmes").
A la CENI, on ne comprend pas pourquoi l’informaticien insiste pour être Chef des Opérations électorales et Responsable du fichier électoral en même temps. La CENI refuse le dictat de Rurimunzu et, après seulement deux jours à la CENI, l’ingénieur claque la porte. Il s’avérera plus tard que Monsieur Rurimunzu est un militant du parti au pouvoir. Les téléphones vont commencer à chauffer à la CENI. Selon une source fiable, le Président de la CENI a reçu un appel d’un Gélase Ndabirabe très furieux, accusant Pierre Claver Ndayicariye d’avoir recruté des Frodebistes et Upronistes. Selon plusieurs observateurs, c’est un mauvais procès que l’on intente à la CENI. La Commission a respecté l’expertise, la compétence et l’expérience. Les critères ethniques, genre et région ont été également pris en considération. La CENI a décidé de recruter en toute discrétion et cela n’a pas plu. "Nous n’avons pas voulu lancer un appel public à candidatures parce que nous aurions été inondés de CV et les pressions auraient été intenables", explique un membre de la CENI interrogé. Le recrutement a donc pris de court tout le monde.
... et objet d’un bras de fer
Le CNDD-FDD a envoyé un émissaire auprès du président de la CENI pour protester contre ce recrutement. L’honorable Evariste Nsabiyumva du CNDD-FDD a demandé d’être reçu en tête- à - tête. Prudent, dans les audiences, Pierre Claver Ndayicariye évite de recevoir les hommes politiques seul. Il s’est donc entretenu avec l’émissaire du parti en compagnie d’un autre commissaire de la CENI. Selon toujours nos informations, le président de la CENI a montré à l’honorable Nsabiyumva tout l’organigramme et les critères objectifs qui ont guidé le recrutement de chaque candidat. C’est alors que le ministre de l’Intérieur est entré en jeu. Dès fin juin, sans aucune explication, il a décidé de bloquer les salaires des Commissaires et des cadres de la Commission. "C’est une guerre psychologique qui est engagée contre la CENI ; le silence, la dignité et la réserve de tous ces cadres sont remarquables", confie un diplomate au courant des tractations.
Dans les coulisses, le "quintet" (BINUB, Tanzanie, Afrique du Sud, Belgique, Etats-Unis) s’active pour faire revenir à la raison certains cadres du parti présidentiel. "Nous leur disons qu’il est essentiel que cette CENI, issue d’un compromis politique, soit indépendante", nous dit une source proche du quintet.
La crainte des diplomates est que le président de la CENI, excédé, bloqué, craque, remet son tablier et déballe sur la place publique toutes les pressions qu’il reçoit. Notre source estime que ce serait là un scénario catastrophe. "Le parti au pouvoir n’a rien à gagner à rendre la vie impossible à la CENI. Si cette Commission consensuelle tombe, ce sera un très mauvais signal et la Communauté internationale ne débloquera aucun sous pour les élections, c’est le message que nous faisons passer", affirme encore notre source.
Mais pour l’instant, Pierre Claver Ndayicariye ne laisse rien transparaître de ce bras de fer avec le CNDD-FDD. Il affiche une sérénité et une discrétion à toute épreuve. Au moment où nous mettons sous presse, le poste convoité de responsable du fichier électoral, à l’origine de tout ce rififi, reste à pourvoir. A la CENI, ils maintiennent que les critères restent invariables : compétence et expertise, représentativité de toutes les ethnies, du genre et de toutes les provinces du pays.
Source: Journal Iwacu