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vendredi 13 mai 2011

Rapport 2011 : Amnesty International accable le gouvernement burundais

Dans son rapport 2011 sur la situation des droits de l'homme dans le monde, Amnesty International n'a pas été de main mort avec le gouvernement du Burundi et ses agissements en matière de violation des droits humains. Voici l’intégralité du Chapitre consacré au Burundi dans ce Rapport.

Burundi

Le gouvernement a intensifié les restrictions imposées à la liberté d’expression et d’association pendant et après les périodes électorales. Les défenseurs des droits humains et les journalistes étaient de plus en plus en danger. Des magistrats ont été soumis à des pressions de la part de l’exécutif. Les engagements pris par le gouvernement quant à l’ouverture d’enquêtes sur les actes de torture commis par le service du renseignement et sur les exécutions extrajudiciaires imputables à la police et à l’armée n’ont pas été suivis d’effet. Des femmes, des jeunes filles et des fillettes ont, cette année encore, été victimes de viol et d’autres violences sexuelles, souvent commis en toute impunité.

Contexte

Le gouvernement a imposé des restrictions croissantes en matière de liberté d’association et d’expression avant, pendant et après les élections communales, présidentielle, législatives et collinaires qui se sont déroulées entre mai et septembre.

Le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), a remporté 64 % des suffrages à l’issue des élections communales organisées en mai. Les observateurs nationaux et étrangers ont relevé des « irrégularités », mais ont jugé les élections globalement libres et équitables. Certains ont fait état de manœuvres d’intimidation pendant la période préélectorale. Les résultats ont été contestés par les partis d’opposition, qui ont dénoncé des fraudes massives. Début juin, ces partis se sont retirés du scrutin présidentiel prévu le même mois, faisant du président sortant, Pierre Nkurunziza, le seul candidat en lice. La plupart des formations d’opposition ont également boycotté les élections législatives du mois de juillet, ce qui a valu au CNDD-FDD une victoire écrasante.

À la suite du boycott du scrutin présidentiel par les partis d’opposition, le gouvernement a interdit temporairement toutes les réunions de ces derniers. La campagne présidentielle a été marquée par des violences à caractère politique, dont de nombreux incendies volontaires et attaques à la grenade, visant pour la plupart le CNDD-FDD.

À partir du mois de septembre, l’insécurité et la criminalité se sont intensifiées dans les régions correspondant aux anciens bastions des Forces nationales de libération (FNL). Le gouvernement a qualifié ces groupes de « bandits », mais d’aucuns y ont vu le signe d’une résurgence de l’opposition armée.

Plusieurs épisodes de violences à caractère politique survenus dans les semaines qui ont précédé les élections collinaires n’ont pas donné lieu à des enquêtes exhaustives de la part de la police. Les déclarations de hauts représentants du gouvernement annonçant des poursuites n’ont bien souvent pas été suivies d’action judiciaire adéquate.

Entre les mois de janvier et novembre, 4 752 réfugiés burundais ont regagné le pays.

Liberté d’association et de réunion

L’interdiction des réunions de l’opposition prononcée le 8 juin, à la suite de la décision des partis d’opposition de boycotter le scrutin présidentiel, a restreint de manière illicite le droit à la liberté de réunion. Même après la levée de cette mesure, les partis d’opposition ont eu des difficultés à organiser leurs rassemblements.

Les perquisitions effectuées au domicile ou au bureau de membres de l’opposition étaient souvent conduites sans les autorisations nécessaires ou menées de nuit, en violation du Code de procédure pénale.

Les observateurs des Nations unies chargés de veiller au respect des droits humains ont recensé, entre le 1er mai et le 20 juillet, 242 arrestations en lien avec les élections. La plupart de ces interpellations visaient des membres de l’opposition. Certains ont été accusés d’atteinte à la sûreté de l’État, d’attaques à la grenade, d’incendie de locaux du CNDD-FDD ou de détention d’armes illégale. Plusieurs ont fait l’objet de poursuites pénales pour ces mêmes chefs. Les Nations unies ont conclu que 62 de ces arrestations pouvaient être motivées par des considérations politiques, notamment celles effectuées pour organisation de réunions illégales, incitation à l’abstention ou, dans l’un des cas, appartenance aux FNL. Certains membres de l’opposition interpellés ont été détenus par le Service national de renseignement (SNR) pendant une période plus longue que la durée légale de deux semaines avant d’être inculpés. La plupart ont depuis été remis en liberté.

Exécutions extrajudiciaires

Les observateurs des Nations unies ont confirmé les informations selon lesquelles neuf exécutions extrajudiciaires avaient été commises par la police et l’armée entre le mois d’août et la mi-octobre. Au nombre des victimes figuraient trois membres des FNL, retrouvés morts dans la rivière Ruzizi en octobre alors qu’ils venaient d’être remis en liberté après une garde à vue à Cibitoke. Fin octobre, le gouvernement a mis sur pied une commission judiciaire chargée d’enquêter sur ces informations.

Torture et autres mauvais traitements

Fin juin et début juillet, le SNR a de nouveau recouru à la torture alors que de telles pratiques n’avaient pas été observées au cours des dernières années. Douze personnes arrêtées dans le cadre d’enquêtes sur des attaques à la grenade auraient été soumises par ce service à des tortures physiques et psychologiques et à d’autres mauvais traitements. Elles ont été giflées, rouées de coups de pied et frappées à coups de matraque. Elles ont déclaré avoir également été menacées de mort par les agents de sécurité qui tentaient de leur extorquer des « aveux ».

Un seul autre cas de torture a été signalé après que les Nations unies, les milieux diplomatiques et les organisations de défense des droits humains eurent soulevé ces affaires auprès du gouvernement. Ce dernier s’est engagé à ouvrir des enquêtes, mais aucune mesure en ce sens n’avait été prise à la fin de l’année. Aucun des auteurs présumés n’a été suspendu dans l’attente des conclusions d’une éventuelle enquête.

Le 7 juin, trois policiers ont été reconnus coupables par le Tribunal de grande instance de Muramvya d’avoir maltraité, en octobre 2007, à Rutegama, des détenus soupçonnés d’appartenir aux FNL. Les autorités n’ont toutefois pas appliqué le jugement ; deux des agents servaient toujours dans les rangs de la police à la fin de l’année et le troisième avait été incarcéré en 2009 à la suite d’une autre condamnation.

Extradition illégale

L’opposant politique rwandais Déogratias Mushayidi a été interpellé au Burundi le 3 mars par les forces de sécurité burundaises et remis aux autorités de Kigali deux jours plus tard. Son arrestation a été de toute évidence effectuée en dehors de toute procédure régulière d’extradition.

Liberté d’expression

Défenseurs des droits humains

Le gouvernement a examiné la question du statut du Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC), dont la situation juridique demeurait floue depuis son interdiction en 2009. Cette évolution positive ne pouvait faire oublier le harcèlement judiciaire dont faisaient l’objet les défenseurs des droits humains, les menaces d’arrestation de défenseurs ou d’interdiction de leurs organisations proférées par des représentants de l’État, ainsi que les manœuvres d’intimidation et de surveillance menées par des individus qui étaient probablement des agents du renseignement. Certaines personnalités réclamant que justice soit rendue pour le meurtre d’Ernest Manirumva, militant anticorruption assassiné en 2009, étaient en danger. Le gouvernement a par ailleurs expulsé une employée de l’organisation Human Rights Watch.

* Le procès des assassins présumés d’Ernest Manirumva s’est ouvert le 14 juillet. La société civile a reproché au ministère public de ne pas avoir donné suite à des pistes qui auraient pu impliquer la police ainsi que de hauts responsables du renseignement. La procédure, ajournée à deux reprises, n’avançait que lentement.
* En mars, Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH) et Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME), ont déclaré se trouver sous surveillance et ont averti de l’existence de possibles complots visant à les faire assassiner. En mai, Pierre Claver Mbonimpa a été convoqué par le ministère public à des fins d’interrogatoire sur les activités qu’il avait menées dans le cadre de la campagne Justice pour Ernest Manirumva. Lors d’une réunion à caractère privé organisée en octobre, le ministre de l’Intérieur a indiqué à Pierre Mbonimpa qu’il pourrait être déchu de ses fonctions de président de l’APRODH s’il continuait à dénoncer des atteintes aux droits humains commises par la police. Dans une conférence de presse organisée parallèlement, un porte-parole de la police l’a menacé d’arrestation en raison de ses déclarations faisant état d’exécutions extrajudiciaires commises par la police.
* Des membres du personnel de l’OLUCOME et leurs familles ont reçu des menaces de mort en octobre et en novembre.

Journalistes

Les médias indépendants burundais demeuraient particulièrement actifs et les journalistes ont continué de critiquer le gouvernement, en dépit de ses tentatives pour les réduire au silence. Les autorités utilisaient la détention provisoire prolongée et le harcèlement judiciaire, restreignant la liberté d’expression de façon abusive. Certaines menaces de mort reçues par des journalistes semblaient émaner d’agents de l’État.

* En juillet, Jean-Claude Kavumbagu, rédacteur en chef de l’agence de presse en ligne Net Press, a été arrêté à la suite d’un article mettant en cause la capacité des forces de sécurité burundaises à protéger le pays d’une attaque du groupe armé somalien Al Shabaab. Il a été inculpé de trahison – chef qui, aux termes du droit burundais, ne peut être appliqué qu’en temps de guerre. Jean-Claude Kavumbagu se trouvait toujours en détention à la fin de l’année.
* Des journalistes de la Radio publique africaine (RPA) ont reçu des menaces de mort et des appels téléphoniques anonymes. Ils ont également été harcelés, notamment par des individus étant selon toute apparence des agents de l’État.

Partis politiques

En septembre, François Nyamoya, avocat et porte- parole du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD), a été arrêté pour diffamation après que l’administrateur général du SNR, Adolphe Nshimirimana, eut porté plainte contre lui. François Nyamoya avait publiquement critiqué les violations des droits humains commises par le SNR et la police. Il avait également demandé la révocation d’Adolphe Nshimirimana et du directeur adjoint de la police. Adolphe Nshimirimana a accusé François Nyamoya de l’avoir traité de « bandit ». L’avocat a été placé en détention à la prison de Mpimba, avant de bénéficier d’une libération conditionnelle en octobre.

Justice

Les magistrats étaient soumis à des pressions et étaient mutés dans d’autres provinces lorsqu’ils prenaient des décisions considérées comme défavorables à l’exécutif. Le chef de l’État présidait toujours le Conseil supérieur de la magistrature, institution responsable de la sélection, de la promotion et de la rétrogradation des magistrats.

* En juillet, un magistrat a conclu à une absence d’éléments suffisants pour inculper Gabriel Rufyiri, président de l’OLUCOME. Le directeur d’une organisation paragouvernementale avait déposé plainte contre Gabriel Rufyiri au motif que l’OLUCOME l’avait accusé à tort d’avoir utilisé un véhicule officiel pour mener campagne en faveur du CNDD-FDD. Le lendemain de cette décision, le magistrat a été transféré dans une région rurale.

Conditions carcérales

Les prisons étaient surpeuplées et manquaient de moyens. Bien que des mesures aient été adoptées pour accélérer les audiences de demande de libération sous caution, le manque constant de ressources de l’appareil judiciaire contribuait à entretenir la surpopulation carcérale.

Justice de transition

Lors de son discours d’investiture prononcé en septembre, le président Nkurunziza s’est engagé à faire progresser la mise en place d’une commission de vérité et de réconciliation. Le rapport relatif à la consultation nationale menée en 2009 sur la justice de transition lui a été remis en novembre. La publication de ce document était une condition préalable à la création de la commission et à la formation d’un tribunal spécial au sein de la justice burundaise. L’impunité persistait pour les graves atteintes aux droits humains commises dans le passé par des membres des FNL, du CNDD-FDD et de l’ancienne armée burundaise.

Commission nationale indépendante des droits de l’homme

La Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) n’avait toujours pas été mise sur pied fin 2010. En décembre, le Parlement a adopté le projet de loi portant création de la CNIDH. Le texte n’avait pas été promulgué par le président à la fin de l’année.

Dans l’attente de la création de cette instance, les Nations unies ont prolongé le mandat de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Burundi, qui disposait néanmoins de capacités restreintes en matière de diffusion des informations. L’expert indépendant a été autorisé à se rendre au Burundi en novembre, après que le gouvernement eut empêché une visite prévue auparavant.

Source: Amnesty International

mardi 10 mai 2011

Burundi : Amnesty appelle à la fin de l’impunité des forces de sécurité

Déclaration publique- Index AI : AFR 16/004/2011ÉFAI



Burundi: Une commission doit enquêter sur le comportement des forces de sécurité

La commission d’enquête mise en place pour enquêter sur les crimes et les homicides qui ont eu lieu à l’époque des élections de 2010, annoncée par le président Nkurunziza le 1er mai, doit également enquêter sur le comportement des forces de sécurité du Burundi, a déclaré Amnesty International le 10 mai 2011.

Cette commission doit de toute urgence réparer les manquements du gouvernement burundais, qui n’a pas tenu sa promesse d’enquêter sur les allégations faisant état de tortures et d’autres mauvais traitements commis par le service de renseignement du Burundi fin juin et début juillet 2010 et de poursuivre en justice les responsables présumés de ces actes.

Du 23 juin au 5 juillet 2010, des observateurs des droits humains – parmi lesquels figurait Amnesty International – ont recueilli des informations sur les tortures qui auraient été infligées par le Service national de renseignement (SNR) à 12 personnes. Ces personnes, membres de partis d’opposition, ont été arrêtées car elles étaient accusées d’avoir menacé la sûreté de l’État lors d’une série d’attaques à la grenade. Des tortures physiques et psychologiques ont été utilisées pour leur arracher des informations.

Le gouvernement burundais n’a pas tenu l’engagement qu’il a pris en août 2010 d’enquêter sur ces cas et de sanctionner les responsables présumés conformément à la loi. Les agents soupçonnés d’être impliqués dans ces violations des droits humains sont toujours en poste.

La commission d’enquête annoncée donne au gouvernement burundais une nouvelle occasion de faire respecter la loi en enquêtant sur ces atteintes aux droits humains et en jugeant leurs auteurs présumés, afin que ces crimes ne restent pas impunis. La torture a été érigée en infraction dans le Code pénal burundais de 2009.

Le gouvernement burundais doit :

•nommer les membres de la commission d’enquête au vu de leurs qualités reconnues d’impartialité, de compétence et d’intégrité ;
•publier un décret exposant clairement le champ d’action, la composition et la méthodologie de la commission et veiller à ce que son rapport final soit rendu public ;
•donner mandat à la commission de recueillir des témoignages de victimes présumées de torture ou d’autres mauvais traitements et de protéger ces personnes du harcèlement et de l’intimidation ;
•autoriser la commission à convoquer des fonctionnaires, y compris au sein de la police et du service de renseignement, pour recueillir leur témoignage ;
•fournir à la commission des ressources suffisantes pour pouvoir s’acquitter de son mandat ;
•veiller à ce que la commission présente des rapports intermédiaires pour faciliter l’ouverture rapide de procédures pénales ou disciplinaires, notamment contre des agents de la police et du service de renseignement.
La commission d’enquête annoncée doit tendre la main aux Burundais en faisant une déclaration publique précisant le calendrier des affaires examinées et confirmant que les conclusions seront rendues publiques.

Une autre commission d’enquête consacrée aux exécutions extrajudiciaires a commencé son travail le 25 avril 2011 et devrait rendre ses conclusions le 25 mai 2011. Elle établira si les forces de sécurité, notamment l’armée et la police, se sont rendues responsables d’exécutions extrajudiciaires.

Cette commission doit enquêter sur toutes les allégations récentes d’exécutions extrajudiciaires, y compris celles qui ont eu lieu après sa création, le 26 octobre 2010. Les Nations unies ont recueilli des informations sur 11 cas de possibles exécutions extrajudiciaires entre août et novembre 2010 et neuf cas en février et mars 2011.

L’impunité pour les atteintes aux droits humains commises par le passé est un problème de longue date au Burundi. L’absence de justice pour les crimes de droit international qui ont été perpétrés contribue à un environnement dans lequel les forces de sécurité continuent de commettre des violations des droits humains.

L’Accord d’Arusha et d’autres accords qui l’ont suivi prévoient une Commission nationale pour la vérité et la réconciliation (CNVR) et un tribunal spécial, mais leur mise en place a été freinée à maintes reprises. Les négociations entre le gouvernement burundais et les Nations unies n’ont pas abouti à un consensus sur l’indépendance du procureur du tribunal spécial et sur la succession et la relation entre la CNVR et le tribunal spécial. Le délai de présentation au président du rapport issu des consultations nationales relatives à la justice de transition a également constitué un obstacle. Dans son discours du 1er mai, le président Nkurunziza a réaffirmé sa volonté de faire avancer la création de mécanismes judiciaires de transition. Il a promis que « tout serait révélé », soulignant l’importance de dire la vérité, mais n’a pas évoqué l’obligation qui incombe au Burundi de juger les crimes de droit international.


Source: Amnesty International