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mardi 30 novembre 2010

Bujumbura a refusé de recevoir une délégation des droits de l’Homme

Refus des autorités nationales de rencontrer la délégation de l’Observatoire

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de l’Organisation mondiale contre la torture et de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) a mandaté une mission internationale d’enquête au Burundi du 14 au 21 novembre 2010, composée de Olivier Foks, avocat au barreau de Paris, et Damien Chervaz, avocat au barreau de Genève, afin d’évaluer la situation des défenseurs des droits de l’homme au Burundi en cette période post-électorale.

La délégation a pu rencontrer les acteurs principaux de la société civile burundaise, des représentants de divers médias, plusieurs avocats travaillant sur des dossiers jugés sensibles, des membres de l’appareil judiciaire burundais, ainsi que des membres des représentations diplomatiques. A l’occasion d’un déplacement à Gitega, les chargés de mission ont également pu rencontrer des représentants de la société civile, le gouverneur de la province ainsi que des autorités de police de cette ville.

En revanche et malgré les demandes officielles d’entretiens transmises avant le début de la mission, aucune autorité gouvernementale n’a donné de réponse favorable aux demandes de rendez-vous formulées par la délégation. Par ailleurs, les chargés de mission regrettent de ne pas avoir eu accès à la prison centrale de Mpimba (Bujumbura). En effet, malgré l’obtention d’une autorisation écrite du Directeur général des Affaires Pénitentiaires, le Directeur dudit établissement pénitentiaire a refusé à deux reprises l’entrée de la prison, le 19 novembre 2010 « pour cause de sport » et le lendemain matin, le 20 novembre 2010, au prétexte qu’il ne travaillait pas ce jour là.

La mission a pu recueillir des informations précises sur la détention actuelle ou passée de plusieurs journalistes et sur les raisons de ces incarcérations pour conclure à leur caractère arbitraire au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. A cet égard, l’Observatoire est particulièrement préoccupé par la détention préventive de Jean-Claude Kavumbagu, Directeur du journal en ligne Netpress. Ce dernier est en effet détenu depuis plus de quatre mois pour la rédaction d’un article de presse remettant en question la capacité de l’armée et des forces de police burundaises de prévenir une éventuelle attaque du groupe islamiste somalien Al Shabab qui revendique l’attentat terroriste perpétré en Ouganda.

La délégation a également réuni de nombreux témoignages circonstanciés sur l’existence de menaces récentes proférées à l’encontre de représentants de différentes organisations de défense des droits de l’Homme ayant dénoncé des faits impliquant des personnalités proches du pouvoir.

À cet égard, l’Observatoire exprime sa vive inquiétude relativement aux diverses pressions et menaces de mort exercées à l’encontre de M. Gabriel Rufyiri, Président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME) et de son épouse, ainsi que de M. Pierre-Claver Mbonimpa, Président de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH). Ces derniers demandent notamment la poursuite et le jugement des auteurs présumés de l’assassinat, en avril 2009, d’Ernest Manirumva, ancien Vice-président de l’OLUCOME. L’Observatoire rappelle que le procès portant sur l’assassinat d’Ernest Manirumva, qui aurait dû s’ouvrir il y a plusieurs mois devant la Cour d’appel de Bujumbura siégeant en juridiction de premier degré, a été reporté sous prétexte du retard pris dans la délivrance des citations aux prévenus non détenus.

Il ressort par ailleurs de la mission d’enquête que les autorités burundaises tentent d’entraver le bon fonctionnement de certaines associations de défense des droits de l’Homme, et en particulier l’APRODH ainsi que le Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC), en remettant en cause leur constitution légale et en menaçant de suspendre leurs dirigeants élus. Enfin, les chargés de mission ont été informés de l’existence de propositions de loi visant à réformer la réglementation portant sur les associations à but non lucratif et à créer une commission nationale des droits de l’Homme. L’Observatoire portera une attention particulière au suivi de l’ensemble de ces dossiers.

L’Observatoire, qui publiera un rapport de mission début 2011, rappelle que ces faits s’inscrivent dans une situation post-électorale extrêmement tendue où le parti au pouvoir cherche à réduire au silence toute critique sur les modes de gouvernance et les conditions d’organisation des élections. Cela se traduit par la multiplication des arrestations et détentions arbitraires, l’exil des principaux dirigeants politiques d’opposition et l’assassinat de militants politiques du parti au pouvoir et de l’opposition. Dans ce contexte, l’assimilation par le pouvoir des défenseurs aux militants politiques est particulièrement inquiétante pour la poursuite de leurs activités et leur sécurité.


Source: FIDH

dimanche 28 novembre 2010

Après les élections de 2010, le choix entre sortir ou rentrer dans la crise

Prof. Christophe Sebudandi,
Consultant de l'OAG
Presque tous les observateurs attentifs à l'évolution du Burundi depuis les élections de 2010, s'accordent sur le fait qu'une crise politique est désormais ouverte. Les divergences pourraient se situer seulement sur les directions qu'elle prendra, politique, ou évoluer progressivement vers une violence réduite ou généralisée.

Le rapport complet du Consultant de l'OAG.

Jusqu'à présent, ce qui semble cruellement manquer, c'est la capacité des acteurs et des institutions, à gérer et résoudre de manière pragmatique et pacifique, le conflit né du contentieux électoral. Très justement, par rapport à ce type de problématique, l'ancien secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan , faisait le constat suivant "au cour de pratiquement tous les conflits civils, il y a la question de l'Etat et de son pouvoir, de savoir à qui il échoit et comment il s'exerce. Aucun conflit ne peut se résoudre sans répondre à ces questions, et de nos jours, les réponses doivent presque toujours être démocratiques - ne serait-ce que dans les formes (....) La démocratie se pratique de bien des façons et aucune n'est parfaite. Mais dans le meilleur des cas, elle offre une méthode pour gérer et régler les différends sans violence et dans un climat de confiance mutuelle".

Vraisemblablement, le consensus dégagé au sein des institutions autour de la récente désignation de l'Ombusdman laisse augurer de pratiques, où le contrôle entre les pouvoirs risque d'être réduit à néant. Alors que depuis le début de la législature passée, beaucoup de voix s'étaient élevées pour réclamer la mise en place de l'Ombudsman, les raisons du blocage étaient restées mystérieuses. Au vu de ce qui vient de se passer, l'hypothèse qui peut être émise est que le parti au pouvoir, ne pouvant disposer de la majorité des trois quarts, exigée par la Constitution, a préféré temporiser, en attendant que cette condition soit peut-être un jour réunie.

Le contraste entre les blocages, jadis constatés, et l'empressement mis dans la désignation de l'Ombudsman ainsi que le profil du candidat choisi, montrent que les obstacles tant redoutés étaient enfin levés. Le parti au pouvoir ne voulait prendre aucun risque en désignant quelqu'un qu'il ne contrôlait pas, à la tête d'une institution dotée d'énormes pouvoirs de contrôle . Pour la désignation de l'Ombudsman, devenu candidat unique, hormis les protestations des députés de l'UPRONA et des représentants des Batwa, le processus s'est effectué dans un unanimisme total. Alors que des doutes pouvaient être permis sur l'adéquation du profil aux conditions requises, surtout en ce qui concerne le niveau d'étude, l'expérience pertinente, l'indépendance et l'intégrité, les parlementaires n'ont eu de cesse qu'à utiliser leur majorité pour désigner le candidat désigné par le parti.

En ce qui concerne l'indépendance de l'appareil judiciaire, c'est le statu quo qui semble prévaloir. Juste après les élections communales, l'appareil judiciaire a été mis à contribution dans les tracasseries, la répression et l'arrestation d'opposants politiques réels ou supposés.

L'emprisonnement de membres de l'opposition et de journalistes, souvent sur base de motifs non fondés ou parce que ceux-ci ont fait usage de leurs droits d'expression ou d'opinion est caractéristique de cette instrumentalisation du judiciaire par l'Exécutif. L'incapacité d'instruire et de juger rapidement et équitablement dans les affaires, où des présomptions sérieuses pèsent sur des personnes influentes au sein de l'exécutif, est un autre signe d'une complète dépendance du judiciaire. Parmi tant d'autres, le dossier de l'assassinat d'Ernest Manirumva en est l'illustration la plus emblématique.

Corruption et malversations économiques : la tolérance zéro à l'épreuve des faits

En vue de mettre fin aux pratiques généralisées de corruption, observées lors du précédent mandat, le Président de la République a déclaré la tolérance zéro face à la corruption, en ces termes : "Nous proclamons déjà la tolérance zéro à tous les coupables d'actes de corruption, de malversations économiques et d'autres infractions connexes. Que cela ne soit pas compris comme un simple slogan". Dans le dispositif de lutte contre la corruption, l'affirmation de la volonté politique occupe une place importante, surtout que lors de la législature passée, même le discours fustigeant la corruption était devenue rare.

Cette volonté du Président a été vite accompagnée par des actions du nouveau Ministre à la Présidence chargée Bonne Gouvernance et de la Privatisation, principalement à travers une campagne médiatique contre la corruption. Pour donner l'exemple, deux dirigeants des société para étatiques, la Société Sucrière du Moso (SOSUMO) et l'Office des Transports du Burundi (OTRACO) ont été mis sous les verrous pour cause de corruption et de malversations économiques. Après ce coup d'éclat, aucune autre action visible, n'a été entreprise, laissant penser à une sorte de "bouc-émissairisation".

Alors que dans le cas de la SOSUMO, le Directeur Général avait vraisemblablement bénéficié de l'appui actif de l'ancien 2ème Vice-président de la République, Gabriel Ntisezerana, contre la Ministre du Commerce et de l'Industrie d'alors, Madame Euphrasie Bigirimana, celui-ci s'en est tiré par un communiqué de son ancien porte-parole, le disculpant entièrement. Tout simplement, ce dernier a affirmé que le deuxième Vice-président aurait été trompé sur la santé financière de l'entreprise. Cet argument est peu crédible car le deuxième Vice-président disposait de tous les moyens nécessaires pour obtenir toute information souhaitée. Par ailleurs, l'autorité de tutelle et les média avaient largement fait état d'allégations de corruption au sein de la SOSUMO et ces éléments pouvaient être consultés. Au contraire, ces autorités et ces médias ont été mis sur la touche.


Source: OAG