mardi 25 janvier 2011
Rapport Mondial 2011 de Human Rights Watch : le chapitre sur le Burundi
Rapport mondial : De nombreux gouvernements sont trop complaisants à l’égard des gouvernements répressifs
Bruxelles, le 24 janvier 2011 - Un trop grand nombre de gouvernements ont tendance à accepter les prétextes et arguments fallacieux avancés par des gouvernements répressifs, préférant adopter des stratégies complaisantes basées sur le « dialogue » privé ou sur la coopération, au lieu d'exercer de réelles pressions visant à assurer le respect des droits humains, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch à l'occasion de la publication de son Rapport mondial 2011.
Ainsi, au lieu de faire preuve de fermeté à l'égard des chefs d'État responsables de violations de droits, de nombreux pays, dont plusieurs États membres de l'Union européenne, adoptent des politiques qui ne comportent aucun élément de pression susceptible d'inciter à un changement de politique dans ce domaine.
Ce rapport de 649 pages (dont une version abrégée en français de 166 pages est également disponible) est le 21e bilan annuel de Human Rights Watch sur la situation des droits humains à travers le monde. Le rapport résume les grands problèmes dans ce domaine dans plus de 90 pays et territoires, reflétant le vaste travail d'investigation entrepris en 2010 par son équipe de chercheurs.
Voici ci-après l’intégralité du chapitre sur le Burundi du Rapport Mondial 2011 de Human Rights Watch (Evénements de 2010)
Burundi
Événements de 2010
Le Burundi a tenu des élections locales et nationales entre mai et septembre 2010. À la suite des élections communales du 24 mai, la commission électorale a annoncé une majorité écrasante pour le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-FDD). Les partis d'opposition ont crié à la fraude et ont boycotté les élections qui ont suivi. Les représentants du gouvernement ont interdit les réunions de l'opposition et torturé des opposants politiques. Des partisans du CNDD-FDD ainsi que des partis d'opposition ont commis des actes de violence politique. Les observateurs internationaux, soulagés que le Burundi n'ait pas sombré dans une violence de masse, ont qualifié les élections de « calmes ».
Le gouvernement a facilité la prise de contrôle illégale du principal parti d'opposition, les Forces nationales de libération (FNL), par une aile dissidente favorable au parti au pouvoir. Certains membres du FNL et d'autres partis d'opposition se sont repliés dans la brousse et ont pris les armes. La police a appréhendé et tué plusieurs membres du FNL qui tentaient de rejoindre les groupes armés.
Le gouvernement a réprimé les journalistes, les organisations de la société civile et les organisations internationales qui ont dénoncé des abus.
Les élections et l'effondrement des avancées démocratiques
La campagne électorale menée par le CNDD-FDD a utilisé des fonds d'État et recouru en partie à la corruption ainsi qu'à l'intimidation. La police a interrompu des réunions de certains partis d'opposition et arrêté des militants.
Les élections communales de mai ont donné 64 % des votes au CNDD-FDD. Les partis d'opposition ont allégué une fraude massive et ont formé une coalition, ADC-Ikibiri, qui a appelé à un boycott des élections suivantes. Bien que les partis d'opposition n'aient pas présenté de preuves concrètes d'une fraude massive, le fait que la Commission nationale électorale (CENI) n'ait pas publié les procès-verbaux du décompte des voix dans chaque bureau de vote - en violation de la loi électorale, fait peser des soupçons sur l'intégrité du processus.
Les six candidats de l'opposition se sont retirés de l'élection présidentielle de juin, laissant le président sortant, Pierre Nkurunziza, le seul candidat en lice. Un parti d'opposition, l'UPRONA, a participé aux élections législatives de juillet. Le CNDD-FDD a pourtant remporté plus de 80 % des sièges au parlement.
La violence politique et le retour au conflit armé
Avant et pendant les élections, les principaux partis ont utilisé des tactiques d'intimidation, y compris la violence. Parmi ces partis figurent le FNL et, dans une moindre mesure, le Front pour la démocratie au Burundi (FRODEBU), le Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD), l'Union pour la Paix et le Développement (UPD), et l'Union pour le Progrès national (UPRONA). Cependant, la majorité des incidents ont été attribués au CNDD-FDD. Des groupes de jeunes partisans, notamment les Imbonerakure du CNDD-FDD, ont joué un rôle significatif dans ces violences. Les Imbonerakure ont également été impliqués dans les arrestations illégales, avant, pendant et après les élections.
Il y a eu au moins cinq assassinats politiques dans les deux semaines qui ont précédé les élections communales. Pendant les élections présidentielle et législatives, on a compté jusqu'à 128 attaques à la grenade à travers le pays. Ces attaques visaient pour la plupart des militants politiques, quel que soit leur obédience ; elles ont fait 11 morts et au moins 69 blessés. Au moins 33 lieux de réunion du CNDD-FDD ont été incendiés au cours de cette période.
Tout au long des mois de juillet et d'août, des membres des FNL ont fui leur maison pour éviter d'être arrêtés. Beaucoup d'entre eux sont revenus dans les forêts où ils avaient combattu pendant la guerre civile du Burundi, une guerre qui avait duré 16 ans. Le leader du FNL, Agathon Rwasa, est entré dans la clandestinité, comme aussi le porte-parole de l'ADC-Ikibiri, Leonard Nyangoma. Un nouveau mouvement armé s'est constitué. En septembre, sept ouvriers d'un membre éminent du CNDD-FDD ont été tués ; des témoignages suggèrent que les meurtriers étaient des membres du FNL de la forêt de Rukoko. Au moins 18 corps, souvent mutilés, ont été retrouvés flottant dans la rivière Rusizi ; certains ont été identifiés comme membres des FNL. La mission des Nations Unies au Burundi (BINUB) et une organisation burundaise de défense des droits humains ont présenté aux autorités des éléments de preuve attestant que la police avait accompli certains de ces meurtres.
La répression de l'opposition politique et la résurgence de la torture
Plus de 250 membres de l'opposition ont été arrêtés en juin et en juillet. On relève parmi les chefs d'accusation l'« incitation de la population à ne pas voter », ce qui n'est pas un crime au Burundi. D'autres ont été accusés de crimes graves, par exemple avoir lancé des grenades.
Au moins 12 militants de l'opposition ont été torturés ou maltraités en juin et juillet par le service national de renseignement (SNR). Des dizaines d'autres ont été maltraités par la police. Des agents du SNR ont coupé un morceau de l'oreille d'un membre de l'UPD et l'ont forcé à le manger. D'autres militants ont reçu des coups de pieds dans les organes génitaux ou ont été emprisonnés dans les toilettes.
Trois dirigeants de l'opposition ont été illégalement empêchés de quitter le pays en juin. Le 8 juin, le ministre de l'Intérieur, Edouard Nduwimana, a interdit toutes les activités de l'opposition. Il a annulé cette interdiction générale à la fin de juillet, mais certaines activités de l'opposition ont été interdites par la police, notamment une conférence de presse de l'ADC-Ikibiri, le 17 septembre.
Le 4 août, le ministre de l'Intérieur Nduwimana a reconnu les résultats du vote d'un « congrès extraordinaire », organisé par d'anciens membres des FNL avec le soutien du parti au pouvoir. Ce vote destituait le président du FNL, Agathon Rwasa, et le remplaçait par des dirigeants plus conciliants. Ainsi, après des années d'efforts par des responsables gouvernementaux et de la communauté internationale pour intégrer Rwasa et le FNL au processus politique, le congrès du FNL a enfreint ses statuts et privé de voix politique son président et ses partisans.
Le 27 septembre, le porte-parole du MSD, François Nyamoya, a été arrêté pour diffamation après avoir déclaré dans une interview à la radio que le Président Nkurunziza devrait renvoyer le chef du SNR, Adolphe Nshimirimana, et le directeur adjoint de la police, Gervais Ndirakobuca, en raison des exactions commises par les deux services. Il a été libéré provisoirement le 14 octobre. En plus de son activité politique, François Nyamoya est un éminent avocat qui a défendu des détracteurs du gouvernement devant les tribunaux. Un de ses clients, Jackson Ndikuriyo, un ancien brigadier de police, avait été tué, le 26 août, après avoir déposé plainte pour licenciement abusif. Des organisations burundaises de droits humains avaient dénoncé ce meurtre comme étant une exécution sommaire par la police. Ndikuriyo avait été licencié pour avoir dénoncé la corruption de la police et avait dit à son avocat avant sa mort qu'il avait été menacé par le directeur adjoint de la police, Ndirakobuca.
Défenseurs des droits humains et journalistes
L'année 2010 est en recul pour les droits des défenseurs des droits humains et pour les droits des journalistes avec un niveau de répression jamais atteint depuis 2006.
Le 18 mai, le ministre des Affaires étrangères, Augustin Nsanze, a révoqué le permis de travail de la chercheuse d'Human Rights Watch au Burundi, au motif que le rapport du mois de mai de l'organisation sur les violences politiques au Burundi était « tendancieux » et que cette chercheuse avait manifesté « des attitudes de nature à porter préjudice aux institutions gouvernementales ». À ce jour, le gouvernement n'a démenti aucune information précise figurant dans le rapport. Au mois de novembre, le ministre n'avait toujours pas répondu aux nombreuses demandes de dialogue de Human Rights Watch.
Quatre journalistes ont été arrêtés en 2010. Jean Claude Kavumbagu, directeur du site web Net Press, a été arrêté en juillet et inculpé de trahison, en vertu d'une loi qui n'est applicable qu'« en temps de guerre », après avoir mis en doute la capacité de l'armée à répondre à une attaque des miliciens Shebbab. Les procureurs ont insinué que les menaces des Shebbab contre le Burundi répondaient bien à la définition d'un « état de guerre ». En octobre, Kavumbagu avait été détenu illégalement en détention provisoire pendant trois mois. Thierry Ndayishimiye, rédacteur-en-chef du journal Arc-en-Ciel, a été arrêté en août pour avoir dénoncé la corruption au sein de la compagnie nationale d'énergie. Il a été libéré provisoirement. Deux journalistes du journal indépendant Iwacu ont été détenus pendant deux jours en novembre, sans aucune explication et sans qu'une inculpation leur ait été notifiée.
Le 29 juillet, Gabriel Rufyiri, président de l'organisation anti-corruption OLUCOME, a été interrogé par un magistrat suite à une plainte pour diffamation. Le procureur de la République en mairie de Bujumbura, Renovat Tabu, a ordonné l'arrestation de Rufyiri. Le magistrat a refusé, faute de preuves, et a été muté le lendemain à un poste dans une juridiction du Burundi rural.
Eric Manirakiza et Bob Rugurika, respectivement directeur et rédacteur-en-chef de la station de radio privée RPA, ont reçu des menaces de mort. Pacifique Nininahazwe, délégué général du Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC), a été filé par des véhicules du SNR.
Des auditions ont eut lieu pour entendre des suspects dans l'affaire du meurtre, en avril 2009, d'Ernest Manirumva, vice-président d'OLUCOME. Des organisations de la société civile redoutent que les procureurs n'interrogent ni n'arrêtent plusieurs responsables de haut rang de la police et du SNR qui ont été cités par des témoins. Ces organisations ont également présenté des éléments de preuves qui suggèrent que certains témoins auraient disparu ou auraient été tués. Le parquet a perdu la confiance des témoins après avoir communiqué des renseignements au SNR concernant certains d'entre eux.
Justice transitionnelle et justice pénale
Un comité représentant le gouvernement, l'ONU et la société civile, a achevé un tour de « consultations nationales » pour créer une Commission vérité et réconciliation et un tribunal spécial pour juger les crimes de guerre passés. Le comité a présenté un rapport au Président Nkurunziza en avril, mais en novembre il n'avait pas toujours pas été rendu public, ce qui ralentit la mise en place des mécanismes proposés.
L'administration de la justice du Burundi avait en 2010 accumulé d'importants retards dans le traitement des dossiers. 65% des détenus sont en détention préventive. La décision d'un tribunal du mois de septembre confirmant la détention préventive du journaliste Kavumbagu a été rendue au motif que la détention préventive est toujours le meilleur moyen de maintenir un suspect « à la disposition de la justice », ce qui est une violation des principes internationaux des droits humains.
Acteurs internationaux clés
Les diplomates internationaux à Bujumbura ont suivi de près les procédures dans les affaires touchant les défenseurs des droits humains et les journalistes. Beaucoup ont assisté personnellement aux audiences. Le ministre belge des Affaires étrangères a condamné les arrestations de Kavumbagu et de Nyamoya et a demandé des enquêtes sur les allégations de torture d'opposants politiques. Les États-Unis, qui ont offert l'assistance technique du FBI pour les enquêtes menées sur la mort de Manirumva, ont exhorté le gouvernement à poursuivre les hauts responsables soupçonnés d'être impliqués dans le meurtre.
De nombreux gouvernements étrangers ont omis de dénoncer les restrictions sur les droits de l'opposition politique pendant la période électorale. Ces gouvernements ont minimisé l'absence d'une règle de jeu égale et ont exercé une forte pression sur l'opposition pour qu'elle mette fin à son boycott, provoquant la forte déception de ces partis.
La mission de l'ONU au Burundi a systématiquement répertorié les cas de torture, les arrestations arbitraires et les exécutions sommaires et a instamment demandé au gouvernement de mettre fin à ces pratiques.
L'expert indépendant nommé par l'ONU sur la situation des droits humains au Burundi n'a pas été en mesure de présenter un rapport sur la situation dans ce pays depuis septembre 2008, ce qui s'écarte de la pratique courante du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. Le Burundi a fait pression sur le Conseil pour reporter la présentation du rapport de l'expert indépendant pendant la session de septembre 2010.
La pression du Rwanda sur le Burundi a entraîné le rapatriement illégal de 103 demandeurs d'asile rwandais en novembre 2009. La Tanzanie a pris l'initiative positive de naturaliser 162 000 burundais réfugiés sur son territoire depuis 1972.
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