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mardi 8 février 2011

Burundi : du boycott électoral à l’impasse politique


Six mois après la nouvelle victoire électorale du Conseil national pour la défense de la démocratie et Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le Burundi s’enfonce dans une impasse politique qui pourrait se transformer en une crise majeure susceptible de remettre en cause dix ans de progrès. En effet, au lieu de consolider la démocratie, les élections communale, parlementaire et présidentielle de 2010 ont abouti à la marginalisation de l’opposition, au passage dans la clandestinité des Forces nationales de libération (FNL) et à l’émergence d’une nouvelle rébellion. Combinée à un système de gouvernance faible, cette évolution pourrait conduire à un recul démocratique. Seuls le rétablissement du dialogue politique entre le gouvernement et l’opposition, la sortie de la clandestinité pour les FNL et le renforcement des institutions démocratiques sont de nature à inverser cette dangereuse évolution.

En mai 2010, alors que les principales formations d’opposition étaient confiantes dans leurs chances de battre le parti au pouvoir, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) proclame le CNDD-FDD largement vainqueur avec 64 pour cent des voix aux communales. Les partis d’opposition dénoncent directement des « fraudes massives ». Mais les observateurs nationaux et internationaux, la presse et la société civile reconnaissent à l’unanimité la crédibilité du scrutin en dépit de certaines irrégularités. L’opposition regroupée au sein de l’Alliance des démocrates pour le changement au Burundi (ADC-Ikibiri) conditionne alors sa participation au processus électoral au renvoi de la CENI et à l’annulation du scrutin communal. Ses revendications n’ayant pas été entendues, elle boycotte le reste du cycle électoral, offrant une victoire massive au parti au pouvoir (91 pour cent des voix à la présidentielle, 81 pour cent aux législatives et 94 pour cent aux sénatoriales) qui consolide son contrôle sur presque toutes les institutions.

Prenant pour prétexte de nombreux incidents violents au cours de la campagne présidentielle, les services de sécurité procèdent à des dizaines d’arrestations dans les rangs de l’opposition durant les mois de juin et juillet 2010. De peur d’être appréhendés, les principaux responsables de l’ADC s’exilent ou optent pour la clandestinité. A la suite du retour dans la clandestinité du président des FNL, Agathon Rwasa, la direction de ce mouvement est même renversée par une faction minoritaire avec la complicité des autorités. Depuis lors, des accrochages opposent périodiquement les forces de l’ordre à des hommes en armes dans la partie occidentale du Burundi. Même si ces derniers sont qualifiés de « bandits armés » selon la terminologie officielle, il n’y a plus de doute sur les liens entre ces groupes et certains responsables de l’opposition. Le Burundi n’est pas sur le point de retomber dans la guerre civile mais en misant exclusivement sur la marginalisation et la répression de l’opposition, le pouvoir renforce une rébellion naissante et fait reculer le projet démocratique.

En effet, depuis la fin du cycle électoral, il n’y a plus de communication officielle entre le gouvernement et l’opposition, et le forum permanent des partis politiques est désormais une coquille vide. Simultanément, le nouveau gouvernement hérite de graves problèmes de gouvernance. Une corruption croissante, une justice peu indépendante, des contre-pouvoirs institutionnels faibles et l’enlisement du projet de justice transitionnelle sont autant de risques pour la consolidation démocratique. En outre, l’intégration pleine et entière du Burundi dans l’East African Community (EAC) risque de nécessiter une révision constitutionnelle qui pourra être l’occasion de renforcer ou d’affaiblir les institutions démocratiques. La crise risque de s’étendre à l’Est du Congo où les FNL ont renoué d’anciens liens avec des groupes armés dans la région des Kivus.

Face à la dégradation de la situation politique et sécuritaire, les initiatives pour désamorcer une nouvelle crise politique d’envergure sont pour l’instant limitées. Certes, diverses organisations locales et certains partenaires internationaux appellent au dialogue et à la retenue, mais dans l’ensemble, l’attentisme prévaut dans la communauté internationale en dépit de l’influence que lui confère l’aide au développement. Afin d’éviter une régression démocratique au Burundi, le dialogue institutionnel entre tous les acteurs politiques doit reprendre dans le cadre d’un forum permanent des partis politiques reconfiguré de manière consensuelle, et un programme de consolidation de la gouvernance démocratique faisant une large place aux contre-pouvoirs institutionnels et aux initiatives de la société civile doit être défini et mis en œuvre conjointement. Dans le même temps, les leaders religieux, par le biais de la conférence œcuménique, doivent offrir leur médiation au gouvernement et aux FNL afin de rendre possible le retour d’Agathon Rwasa sur la scène politique et la sortie de la clandestinité pour ses partisans.

RECOMMANDATIONS

Pour la reprise du dialogue politique

Au gouvernement et à l’opposition :

1. Reconfigurer de manière consensuelle le forum permanent des partis politiques afin d’avoir un cadre de dialogue institutionnel.

2. Engager sans plus tarder un dialogue constructif en vue d’assainir le climat politique et sécuritaire, s’accorder sur une loi relative au statut de l’opposition et élaborer un code de bonne conduite comprenant :

a) des garanties sécuritaires et le libre exercice des droits politiques pour les responsables de l’opposition ;

b) la tenue libre et sans entrave des réunions des partis politiques d’opposition ; et

c) la fin des arrestations arbitraires de militants des partis d’opposition et la libération de ceux illégalement arrêtés.

Au gouvernement :

3. Mettre un terme à la campagne de harcèlement judicaire, d’intimidation et de menaces contre les associations de la société civile et les médias.

A la communauté internationale :

4. Inciter le gouvernement et l’opposition à s’engager dans un dialogue constructif en vue de régler l’impasse politique en cours et conditionner son appui au respect par le gouvernement de ses engagements en matière de droits de l’homme, de bonne gouvernance et d’Etat de droit.

Pour la sortie de la clandestinité des FNL

Au gouvernement :

5. Octroyer des garanties de sécurité et l’absence de poursuites contre Agathon Rwasa.

6. Libérer les militants des FNL incarcérés et annuler la décision administrative de reconnaissance du nouveau président des FNL, Emmanuel Miburo.

Aux FNL :

7. Renoncer publiquement à la violence.

A la conférence œcuménique et aux pays de l’Initiative régionale (l’Ouganda, la Tanzanie, l’Afrique du Sud, le Kenya, le Rwanda, la République démocratique du Congo, l’Ethiopie et la Zambie) :

8. Proposer une médiation entre les FNL et le gouvernement et lancer un appel au dialogue.

Pour la consolidation de la gouvernance démocratique

Au gouvernement et au Parlement :

9. Réviser la loi anti-corruption pour étendre les compétences des institutions de lutte contre la corruption, rendre plus autonome les corps de contrôle, réviser la composition et les prérogatives du Conseil supérieur de la magistrature afin de renforcer son indépendance et réduire le contrôle de l’exécutif sur un certain nombre d’agences publiques.

10. Appliquer la loi distinguant les postes techniques et les postes politiques.

11. Constituer une commission de réflexion sur la réforme constitutionnelle, composée de personnalités politiques toutes tendances politiques confondues et de représentants de la société civile.

12. Créer une commission vérité et réconciliation et un tribunal spécial conformément aux recommandations des consultations nationales sur les mécanismes de justice transitionnelle.

A la société civile, au gouvernement et à la communauté internationale, en particulier la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suisse, l’Union européenne, l’Union africaine, le Bureau des Nations unies au Burundi et les Etats-Unis :

13. Définir et mettre en œuvre conjointement un programme de consolidation de la gouvernance démocratique qui, conformément aux engagements du président, appuie les contre-pouvoirs institutionnels et les projets de la société civile visant à la protection des droits de la personne, à la supervision des activités des services de sécurité, à la lutte contre la corruption et au développement du débat public.

Nairobi/Bruxelles, 7 février 2011

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