Les autorités devraient mettre un terme aux violences préélectorales et exiger des comptes aux auteurs de ces actes
La police ne prend pas suffisamment de mesures afin de prévenir les attaques basées sur des motifs politiques et pour enquêter sur ces exactions
Les responsables de la police et de l’administration burundaises doivent prendre des mesures plus fermes pour prévenir et sanctionner les violences préélectorales, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les militants de divers partis politiques, et plus particulièrement des mouvements de jeunesse affiliés à ces partis, se sont affrontés à maintes reprises depuis novembre 2009. Dans la plupart des cas, la police n’a pas mené d’enquêtes approfondies et personne n’a été tenu responsable de ces actes.
L’épisode le plus récent s’est produit le 10 avril 2010 dans la commune de Kinama, à Bujumbura, lorsque de violents affrontements ont opposé des militants des Forces nationales de libération (FNL), un parti d’opposition, à des membres du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-FDD). Les militants du parti au pouvoir ont également attaqué des journalistes couvrant les affrontements. La police a ensuite détenu illégalement plusieurs militants des FNL.
« La violence entre groupes de jeunes militants n’augure rien de bon pour les prochaines élections », a averti Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique au sein de Human Rights Watch. « Certains responsables burundais ont minimisé ces incidents en les qualifiant de problèmes mineurs impliquant des jeunes survoltés. Mais, quand des grenades sont lancées, des journalistes attaqués, et que la police regarde sans réagir, cela devrait servir de signal d’alarme aux autorités. »
L’incident de Kinama fait suite à une série d’affrontements entre militants des divers partis politiques, notamment le FNL- Iragi rya Gahutu (connu sous le nom de FNL-Iragi), un groupe dissident des FNL affilié au parti au pouvoir, le Front pour la démocratie au Burundi (FRODEBU), le parti au pouvoir et les FNL. Les affrontements ont eu lieu dans les provinces de Kirundo, de Makamba et de Cibitoke, ainsi qu’à Bujumbura, la capitale. Des personnes ont été grièvement blessées dans ces incidents. La police devrait mener des enquêtes approfondies et impartiales sur ces incidents, a déclaré Human Rights Watch, et les autorités devraient traduire les responsables en justice.
Ces violences ont éclaté dans le cadre de la préparation des élections locales, présidentielles et législatives, devant se dérouler entre le 21 mai et le 7 septembre. La concurrence féroce entre le parti au pouvoir et au moins quatre ou cinq puissants partis d’opposition a ravivé les tensions entre les militants des différents partis. De nombreux partis ont ciblé pour leur recrutement des jeunes ex-combattants qui peuvent souvent être incités à commettre des actes de violence.
Au cours de l’incident de Kinama, une grenade a explosé près d’un bureau des FNL. Selon plusieurs témoins interrogés par Human Rights Watch à Kinama, des militants des FNL se sont saisis de l’auteur présumé, un membre du CNDD-FDD, et l’ont violemment frappé, lui portant un coup de machette à la tête. Des militants du parti au pouvoir ont à leur tour tabassé plusieurs militants des FNL. Les responsables de la police et de l’administration ont regardé sans réagir les militants du parti au pouvoir chasser les journalistes venus couvrir l’incident et briser la vitre de leur véhicule.
Une semaine auparavant, le 3 avril, des militants des FNL ont attaqué des militants du FNL-Iragi, également dans la commune de Kinama. Le 31 mars, des militants du CNDD-FDD et des FNL se sont affrontés dans la province de Kirundo. Le 19 mars, des combats ont opposé des militants du CNDD-FDD et du FRODEBU dans la province de Makamba. Une vague de violence similaire a déferlé en janvier dernier lorsque des militants du CNDD-FDD ont attaqué des militants des FNL dans la province de Kirundo. Les militants des mouvements de jeunesse des deux partis se sont lancé des pierres à Kinama. La police n’a pas établi les responsabilités pour les blessures occasionnées au cours de ces incidents.
Dans la plupart des cas, la police n’a diligenté aucune enquête pour identifier les responsables même si parfois elle est intervenue pour mettre un terme à la violence. Plusieurs militants de partis d’opposition qui ont été blessés ont expliqué à Human Rights Watch qu’ils n’ont pas porté plainte parce qu’ils sont persuadés que la police est du côté du parti au pouvoir. Conformément à la législation burundaise et au droit international, la police a l’obligation d’enquêter sur les actes de criminalité indépendamment du fait qu’une plainte soit déposée ou non.
Les témoins et les victimes de Kinama ont déclaré que la violence a été surtout favorisée par l’inaction et l’esprit partisan de la police et aussi par le fait que les dirigeants de partis politiques n’ont pas adopté une position sans équivoque condamnant la violence.
« La recrudescence de la violence perpétrée par les mouvements de jeunesse partisane est tolérée et parfois ouvertement encouragée par les chefs de parti », a déploré Georgette Gagnon. « Le gouvernement devrait adresser un message clair indiquant que la violence par des militants de tous les partis, y compris le parti au pouvoir, ne sera pas tolérée. Les chefs des partis politiques devront pour leur part transmettre ce message à leurs militants. »
Contexte
Les violences qui ont éclaté à Kinama le 10 avril Le 10 avril, des violences ont éclaté immédiatement après la visite d’Agathon Rwasa, le président des FNL, dans la commune de Kinama. Il était venu présider les cérémonies d’ouverture de plusieurs bureaux locaux du parti. Il semblerait que les affrontements dans le quartier Carama de Kinama ont pu être déclenchés par un responsable local qui aurait confisqué les sifflets de militants des FNL. Un responsable a raconté à Human Rights Watch que les militants des FNL ont « résisté » et des coups ont été échangés occasionnant une blessure mineure à un membre du parti au pouvoir. Les affrontements ont eu lieu malgré la présence de nombreux responsables de la police et de l’administration
Peu de temps après, une grenade a explosé non loin du bureau des FNL. Les journalistes et les militants des FNL présents ont raconté que des militants des FNL ont vu Jimmy Ndavyemeye, un membre de la Ligue de la jeunesse du parti au pouvoir, armé d’une grenade. Ils ont ajouté que les militants des FNL sont allés à sa poursuite et la grenade a explosé, le blessant à la main. Jimmy Ndavyemeye a nié être en possession d’une grenade, affirmant qu’il pensait qu’elle avait été lancée par un membre des FNL. Après l’explosion de la grenade, des militants des FNL l’ont assailli. Ndavyemeye a raconté que quelqu’un lui avait donné un coup de machette à la tête tandis qu’une autre personne le frappait à l’œil avec une planche en bois, ce qui a provoqué son évanouissement.
Des policiers dirigés par le commissaire Hassan Hagabimana venus en renfort sur les lieux ont encerclé les militants des FNL, les accusant d’avoir lancé la grenade et tabassé Jimmy Ndavyemeye. Des militants du CNDD-FDD ont également participé aux arrestations et au passage à tabac des militants des FNL qui ont été ensuite poussés dans des camionnettes de police. Aucun de ces militants du parti au pouvoir n’a été arrêté.
Human Rights Watch a interrogé Jimmy Ndavyemeye et quatre militants des FNL qui affirmaient avoir été battus. Tous les cinq présentaient des lésions corporelles qui correspondaient à leurs récits.
Les journalistes venus couvrir les arrestations se sont heurtés à une foule en colère composée de militants du CNDD-FDD en uniforme du parti. Les militants du parti, armés de pierres et dont certains étaient en état d’ébriété, ont pourchassé les journalistes jusqu’à leur véhicule et fracassé le pare-brise arrière. La police et un responsable de l’administration locale témoins des attaques n’ont rien fait pour les en empêcher.
Certains militants des FNL arrêtés ont été détenus pendant deux jours par le commissaire Hagabimana au Camp Socarti, un camp de police qui n’est pas un lieu de détention légal, tandis que les autres étaient détenus au cachot de Kinama. Le 14 avril, tous avaient été libérés. Les militants du parti au pouvoir se sont plaints du fait que la personne qui aurait donné un coup de machette à Jimmy Ndavyemeye figurait parmi les personnes libérées. Les militants des FNL contestaient pour leur part le fait que Ndavyemeye, qui a été libéré de l’hôpital le 11 avril, ne soit ni interrogé ni arrêté. La police n’a pas ouvert d’enquête sur l’agression dont les journalistes ont été victimes.
Autres violents incidents marqués par un manque d’obligation de rendre des comptes Human Rights Watch a recueilli des informations sur d’autres incidents violents ayant opposé entre novembre et avril divers groupes de jeunes membres de partis, ou d’autres membres des partis, et dont quelques exemples sont cités ci-après. Dans plusieurs cas, certains élus étaient impliqués dans les violences et, dans la quasi-totalité des cas, personne n’a été tenu responsable.
• Dans la commune de Bwambarangwe, province de Kirundo, des militants des FNL et du CNDD-FDD se sont affrontés en novembre et en janvier. Lors des incidents de janvier, un adolescent a été tabassé par des militants des FNL. Le jeune tentait de franchir une barricade qu’ils avaient érigée pour empêcher les militants du CNDD-FDD de défiler devant leur bureau. La police n’a pas arrêté les responsables de ces actes.
• Le 7 janvier, un membre des jeunes des FNL a été tabassé et frappé au menton avec une machette dans la commune de Rugombo (province de Cibitoke) par des militants de la Ligue de la jeunesse du CNDD-FDD, Imbonerakure. Même si l’incident était causé par un conflit dont le motif n’est pas politique, on entendait les militants Imbonerakure qui tabassaient le partisan des FNL dire « Tuons ces chiens des FNL ». Trois suspects ont été arrêtés, mais ont fui après avoir été libérés sous caution. L’un d’eux a ensuite été repris, mais libéré à nouveau.
• Le 11 janvier, une militante d’UPD-Zigamibanga, un parti d’opposition, a été sérieusement battue par des militants de la ligue Imbonerakure à Buyenzi (Bujumbura). Elle a refusé de déposer plainte après qu’un membre de sa famille, un chef de file Imbonerakure, l’eut convaincue de ne pas le faire. La police a été informée de l’agression par des observateurs des Nations Unies chargés des droits humains, mais aucune enquête n’a été diligentée.
• Entre le 16 et 19 janvier, des militants du CNDD-FDD et des FNL à Kinama se sont lancé des pierres au moins à deux reprises, causant des blessures mineures, après que le chef de quartier de Carama, un élu local et membre du parti au pouvoir, eut refusé aux militants des FNL de peindre les logos des partis sur leur bureau. Des militants des deux côtés ont été brièvement interpellés, puis remis en liberté sans qu’aucune charge ne soit retenue.
• Le 24 janvier, des militants des FNL présents à l’inauguration d’un bureau local dans la commune de Busoni, province de Kirundo, se sont heurtés à un groupe d’Imbonerakure, armés de bâtons, de pierres et de houes, dirigé par un député, Jean-Baptiste Nzigamasabo. Le groupe scandait des slogans tels que « Nous allons vous ligoter, nous allons vous tirer dessus ». Ils ont jeté des pierres sur les militants des FNL et bastonné plusieurs d’entre eux, dont deux qui ont dû recevoir des soins médicaux. Jean-Baptiste Nzigamasabo a confisqué le matériel d’un journaliste local et l’a retenu en otage, ainsi que plusieurs militants du FNL pendant plusieurs heures. La police est intervenue pour mettre un terme aux violences. Cependant, ni la police ni les autorités judiciaires n’ont ouvert d’enquêtes pour déterminer les responsabilités ou traduire les auteurs en justice, y compris Jean-Baptiste Nzigamasabo.
• Dans la commune de Bugabira, province de Kirundo, les militants du CNDD-FDD auraient tabassé des militants des FNL qu’ils accusaient d’avoir mis le feu à l’un de leurs bureaux, le soir du 30 mars. La police contactée par Human Rights Watch a déclaré qu’elle enquêtait sur l’incident. Toutefois, à la date du 14 avril aucune arrestation n’a encore eu lieu.
• Le 3 avril à Kinama, des militants des FNL-Iragi étaient de passage dans le quartier Carama pour se rendre à une activité du parti. Des jeunes affiliés aux FNL ont tabassé un membre des FNL-Iragi et légèrement blessé le conducteur de la moto qui le transportait. Ils ont jeté des pierres sur un bus transportant les autres membres, blessant le chauffeur. Aucune responsabilité n’a été établie pour ces actes.
Durant cette même période, plusieurs autres attaques ont été perpétrées. Même si les partis d’opposition soutiennent que des motifs politiques sont à l’origine de ces actes, les auteurs n’ont pas été identifiés.
Sylvestre Niyonzima, un représentant local du parti d’opposition UPD-Zigamibanga (connu sous le nom d’UPD), a été tué par balle à Mpanda dans la province de Bubanza, le 10 janvier. Les militants du parti UPD ont raconté que Niyonzima, qui avait été un membre influent du CNDD-FDD avant de changer de parti en 2007, avait reçu des menaces de la part de militants du parti au pouvoir peu avant sa mort. Le Parquet de Bubanza est chargé d’enquêter sur l’incident, mais aucun suspect n’a été arrêté.
Le 10 janvier également, Félix Ngendabanyikwa, un militant du parti d’opposition Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD), a été blessé au bras par une grenade lancée dans sa maison à Kigamba, province de Cankuzo. Ngendabanyikwa avait également été autrefois un membre du parti au pouvoir, avant de rejoindre le MSD. Il a été attaqué le jour où il a assisté à l’ouverture du bureau provincial de parti. Aucune arrestation n’a eu lieu pour cette attaque.
Le 8 janvier, le président de la Ligue de la jeunesse des FNL de la province de Cibitoke a été attaqué par des inconnus, qui l’ont frappé à coups de machette à la tête et à la main. Il avait eu récemment un différend avec des militants locaux du CNDD-FDD. Les responsables n’ont pas été identifiés à ce jour.
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